Skipper : Marc Van den Bossche Second FF : Yves Storme
Equipiers : Dominique Gervais Claude Gauthot
A la fine pointe de l’aube (?), il est 8h15 quand Bob déborde le musoir de Nieuport et fait face à une bonne brise de Nord-Est. En parfaite adéquation avec les règles du club, et en fonction de la présence à bord d’un aspirant-second, notre vénéré skipper et président décide que le vent ne dépasse pas 20 nœuds. Les instruments de bord ne pipent mot. Nous voilà donc en route, cap sur le Roompot. Le temps est radieux, la gîte accentuée, mais supportable et nous voguons au près serré.
Il apparaît très rapidement que le cap défini ne sera atteint qu’en tirant des bords. Ce que nous faisons avec la conscience que vous nous connaissez. Nous atteignons ainsi en début d’après-midi les éoliennes au large de Zeebrugge et devons bien nous rendre à l’évidence : le but initial sera difficile à rejoindre eu égard au temps qui défile, au vent qui reste bien implanté Nord Est et au courant. Un rapide conseil de bord définit notre nouvel objectif qui sera Breskens. Vous serez sans doute conscients que l’ordinaire du bord n’est pas que voile et il ne sera pas dit que notre chef cuistot aurait pu faire pâlir sa réputation. Avec en arrière champ les ailes en mouvement des éoliennes, au sud un généreux soleil qui burine ce qui peut l’être des faces glabres de Dominique et de moi-même, Marc et Claude étant affublés de poils disgracieux et poivre et sel, témoins d’un laisser-aller coupable, nous prîmes la décision hautement délicate de prendre … l’apéro. Un Ouzo bien frais issu d’une croisière précédente en mer Egée, accompagné de Feta donne des ailes à des conversations intra-générations proches de la vraie philosophie, mais également de la galéjade et du bonheur de vivre. Quelques sandwiches après sous couvert d’une bonne bouteille, nous embouquons l’embouchure de l’Escaut Occidental chargé des habituels grands formats marins.
Breskens est ce qu’elle était dans mes souvenirs anciens. Une marina, un havenmeester disparu à 18 heures, une aubergiste qui a rajeuni et perdu son tour de taille (serait-ce la fille de l’ancienne?), et un menu qui fait déjà se saliver mes trois compères : potage d’écrevisses et petit homard frais suivi d’une crème brûlée. Je me contenterai d’un hamburger et de quelques frites, marquant par là le côté social de ma personne face à l’aristocratie ploutocratique des gens de partis wallons et forcément rouges. J’apprendrai ainsi que Marc, ce suppôt bleu de Galant, votait, par pur souci clientéliste, pour la phalange à Claude, au grand dam de son collègue et concurrent, Dominique. Demain est un autre jour.
Après une courte nuit de réflexion, de ronflements et de repos pour les autres, en fonction du vent et surtout du courant de l’Escaut, nous sommes bien forcés d’envisager une remontée par Vlissingen, le canal de Walcheren, Veere avec pour objectif Colijnsplaat et le Zelandia. Vous ne me croirez jamais : la décision fut réellement difficile à prendre. Si nous allions par la mer, nous risquions de ne jamais pouvoir rejoindre le Roompot et ses délices. Bob pointa bientôt le nez vers Vlissingen, son port, le canal bucolique de Walcheren et ses trembles majestueux, le chant de ses huîtriers primesautiers, et les bécanes hollandaises enfourchées par de jolies cyclistes aux mollets galbés et à la poitrine arrogante.
Petit coup de blues en repassant l’écluse de Veere où nous perdîmes naguère notre valeureuse hélice à pales repliables, malgré un plongeon en eau noire et en slip blanc de notre futur PSG. Je revois en image ce moment de décision magistral où Marc, n’écoutant que son devoir et refusant fermement les propositions spontanées de son équipage du moment, offrit son torse musculeux à nos regard éperdus d’admiration et disparut rapidement sous l’onde impétueuse. L’éclusier n’en tint aucun compte et ouvrit en grand à cet instant les vantelles. Nous imaginâmes à ce moment perdre à tout jamais notre futur président et le vîmes en esprit gésir au fond de l’écluse tenant fermement en sa main droite (c’était quelque temps après sa période rouge) notre défunte hélice. Dans la plénitude du moment, j’en oubliai un instant de vérifier le profondimètre, et dut bien malheureusement constater que je nous avais planté!!! Honte sur moi ! Tout le monde au rappel, moteur en arrière et gentiment, avec un agréable bruit de succion, Bob s’en fut retrouver les éléments et la profondeur. Il me faut à ce moment du récit, faire à la fois contrition sincère, mais aussi me défendre un tant soit peu. Le cadran de l’échosondeur et de vitesse est curieusement affecté de ce que dans le jargon médical on appelle une DMLA, Déficience maculaire liée à l’âge. La vitre est remplie en son milieu d’un large cercle foncé qui ne permet absolument plus de voir la vitesse du bateau et pratiquement plus la profondeur immédiate.
Vous verrez plus loin dans mon récit que le risque est rédhibitoire et qu’il faudrait idéalement, et surtout avant la longue navigation du 11 juillet parer à ce défaut. Ce n’est pas tout. Dans le Veerse meer toujours, nous décidons d’enrouler et de passer au moteur. J’avance gentiment en rêvant aux délices que nous attendent ce soir et auparavant aux préparatifs de Claude et Dominique pour l’apéro et m’entend brutalement sommer :”Abats, Yves!” ce que poli et obéissant je fais, envoyant par ce fait planter Bob pour la deuxième fois… Consternation générale. Plus de voile pour faire gîter le bateau et des équipiers n’ayant pas encore mangé pour faire le rappel. Prudemment, nous faisons à nouveau marche à arrière en montant quelque peu dans les tours, et, miracle, Bob se desserre à nouveau de son étreinte de vase.
Ces instants forts creusent et nous sentions à des miles le fumet délicat du Zelandia de Colijnsplaat. Bob se sentait des ailes et nous touchions en fin au but que nous nous étions fixés pour le premier jour. Dois-je vous rappeler la qualité du “streekmenu” de cet établissement? Les entrées variées sur planche de bois, la sole étalée de tout son large sur une assiette où l’on ne trouvait plus place pour y glisser quelques frites, son sorbet d’ananas qui prit pour l’occasion des couleurs de fruits des bois, et ses petits vins blancs frais qui ne demandaient qu’à s’écluser (décidément avec Marc l’écluse est un must). La soirée se termina en un triste café tenu par des Turcs qui gentiment nous proposèrent de visionner sur leur écran la seconde mi-temps de la malheureuse joute Gallo-Belge de football.
Troisième journée : le vent a encore forci tout en restant dans les limites des vingt nœuds réglementaires. En me relisant, j’envisage vos moues dubitatives. Si nous sommes partis à 20 nœuds et que le vent a encore forci, nous devrions logiquement nous retrouver aujourd’hui au delà de 20 nœuds. C’est à cet instant que je compris toute la complexité de la navigation à voiles. L’immense intelligence du skipper que nous avons choisi fit à ce moment une démonstration implacable de la logique propre aux vrais marins hauturiers.
Au bout de cet exposé, nous fûmes bien forcés d’admettre que le vent ne dépassait pas 20 nœuds tout en étant plus impétueux qu’au départ… Confiants, sereins et un tantinet candides, nous nous dirigions vers la mer du Nord en faisant à nouveau gîter Bob à bâbord. A la barre, j’ôtai ma chaussure gauche pour ne pas la mouiller et gardai la droite pour faire plaisir à mes équipiers. Dominique se passait fiévreusement la main dans ses boucles blondes tout en faisant le rappel sur tribord, les jambes au-dessus du rail de fargue. Claude, pas en reste, partageait les chandeliers en réfléchissant à la variabilité relative des mesures du vent tout en préparant dans sa tête le menu du soir. Marc calculait. Nous approchons de la Roompotsluis et du barrage du plan delta et devons bien constater cette fois que les 20 nœuds de vent sont vraiment très largement dépassés et que la situation en mer du Nord sera encore bien plus délicate. Dans notre immense sagesse, nous décidons de rebrousser chemin et de choisir les chenaux intérieurs vers Dordrecht et Rotterdam. Bien calé au grand largue nous filons l’esprit libéré avec grand voile et un ris, et génois à trois tours. Colijnsplaat approche à grande vitesse et je sens à nouveau le fumet du Zelandia sur tribord.
L’apéro fut bienvenu, c’est le moins que l’on puisse dire tout autant que le repas qui s’ensuivit aux mains de fée de notre chef étoilé. La suite fut d’une limpidité extraordinaire. Avec un vent idéalement placé au portant, nous voguons sous génois seul, puis grand-voile et génois à contre, parfaitement en ciseaux. Je ne parviendrai plus à arracher la barre des mains de notre vénéré skipper qui a pour ce faire usé d’un stratagème infâme et parvenir à ses fins. La vitesse est réellement hallucinante! Nous enregistrons en un moment sur mon GPS portable 9,7 nœuds! Nous enfilons Cramer, Oosterschelde, Hollandsdiep et Dordste Kil et parvenons après 60 miles dans la journée à Dordrecht où nous trouvons porte de bois. Toutes les marinas sont pleines et l’on nous envoie promener. Nous constaterons par la suite qu’il n’en était rien, et mettons sur mon délicieux accent du Westhoek le fait d’avoir été nargué par un hollandais rabique. A toutes choses malheur est bon. Nous trouvons rapidement place sur un ponton extérieur d’attente (3 heures maximum!) et passons une soirée et une nuit délicieuse dans cette très belle vieille ville de Dordrecht.
Après un repas fait de Moussaka grecque arrosé d’un Valpolicella Ripasso 2010 d’excellente facture, nous parcourons les rues et tombons sur un pub qui distille à l’extérieur une bien bonne musique de jazz jouée par un orchestre talentueux. Nous pénétrons l’établissement et jouissons d’une excellente jam session avant de retrouver nos couches rustiques et les accords mélodieux de nos partenaires musiciens dans l’âme et le corps. 15 kilomètres environ nous séparent de Rotterdam où il nous faudra céder le relais à Jean-Paul, Joseph et José qui ont choisi la City Marina en plein centre de ville. Un pont assez haut semble-t-il nous barre la route. Mais nos appels à la levée restent lettre morte. Nous cherchons par Internet, par nos guides et cartes la hauteur du dit Brienernoordenbrug sans y trouver certitude. Nous approchons le pont pour titiller celui-ci de notre pointe de mât, sans oser le franchir. Par déduction et inscriptions mal fagotées Marc finit par conclure que la hauteur minimum est au moins de 18 mètres et probablement de 24 mètres. Il prend la barre et se jette en avant. Je me cache à l’intérieur, enlève mes lunettes et ôte mes appareils auditifs (je garderai tout le reste) et voit l’intérieur du carré se parer d’ombres qui glisse avec Bob …. sous le pont. Je respire et surgit des fonds du bateau me retenant au dernier instant d’embrasser Marc sur la joue; il est vraiment trop mal rasé.
Voilà ! Vous savez tout ou presque. J’ai été, comme à mon habitude aussi concis que possible. Vous vous demanderez ce que cela serait si je ne l’étais pas (concis). J’espère avoir pu vous faire partager notre navigation comme si vous y étiez. Je vous souhaite en tous cas de pouvoir faire l’expérience d’une sortie sur Bob avec ces formidables équipiers (tous grades confondus) que sont Marc, Claude et Dominique. Vous avez leur adresse. Contactez-les à l’occasion, mais tenez-moi au courant, j’ai en leur compagnie mes petites entrées.
Yves petit rapporteur